Les nouveautés :

Et toujours :

Les animations à venir :

Le coup de coeur de la semaine :

Aïcha

Synopsis :

Aya, la vingtaine, vit encore chez ses parents dans le sud de la Tunisie et se sent prisonnière d’une vie sans perspectives. Un jour, le minibus dans lequel elle fait quotidiennement la navette entre sa ville et l’hôtel où elle travaille s’écrase. Seule survivante de l’accident, elle réalise que c’est peut-être sa chance de commencer une nouvelle vie. Elle se réfugie à Tunis sous une nouvelle identité, mais tout est bientôt compromis lorsqu’elle devient le principal témoin d’une bavure policière.

Critique :

Les auteurs tunisiens s’affirment. Après s’être fait acclamer à la Mostra de Venise 2019 pour Un fils, son premier long-métrage qui portait sur les dilemmes moraux d’un couple dans le contexte tunisien, Mehdi M. Barsaoui remporte le Prix du meilleur film méditerranéen à la Mostra 2024 avec Aicha. Cette consécration repose sur un portrait de femme poignant, traité sous la forme d’une sorte de thriller mâtiné de considérations politiques dans la Tunisie de l’ère post Ben Ali. La coproduction avec la France et la participation de l’Italie permettent au réalisateur de livrer un récit très charpenté, articulé sur plusieurs épisodes.

Dans un premier temps, on suit le quotidien de la jeune Aya qui travaille dans un hôtel luxueux de Tozeur, au sud de la Tunisie. Elle fait les chambres ou le service au buffet avant de retourner dans son village où la conduit chaque soir, le bus de l’hôtel. Ses parents vivent grâce à son salaire et pour améliorer leur condition, ils proposent à Aya de se marier à un veuf aisé. La pression est forte mais la jeune femme pense à résister car elle a une relation avec le gérant de l’hôtel qui lui promet depuis presque quatre ans, de divorcer pour l’emmener à Tunis.
Un matin, le nouveau chauffeur de bus embarque une femme qui fait du stop avant qu’une embardée jette le car dans un ravin. Aya s’en sort de justesse avant de voir le bus tomber et exploser. Les sauveteurs ne l’entendent pas et prennent le corps de l’autostoppeuse pour celui de Aya. Alors cette dernière échappe à son destin tracé en allant se cacher dans l’hôtel. Elle récupère l’argent du patron dans un coffre et après avoir vu de loin son enterrement au village, elle décide de gagner Tunis sous le nom de Amina.

Grâce à l’argent dérobé, elle trouve une colocation avec une étudiante aisée qui l’entraine vite dans les boites de nuit de Tunis où elle se fait payer des verres et offrir des avances. Mais une bavure policière sur un homme qui croit avoir reconnu Aya, la conduit au commissariat. Elle s’étonne de ne pas être déclarée morte mais se tait en affrontant l’enquête d’un commissaire insistant puis les relations imposées d’un homme puissant, compromis dans l’incident de la boîte de nuit. Pourtant, Amina sait aussi trouver un emploi à la boulangerie voisine et s’opposer à sa logeuse avant que le récit bascule dans les compromissions du système, l’intervention d’un commissaire en quête de rédemption et une confrontation très dure avec ses parents.
En suggérant que son héroïne puisse accéder à une nouvelle vie en changeant encore son prénom pour celui de Aicha, Mehdi Barsaoui s’inspire de faits réels, puisés dans l’actualité du pays pour livrer un conte aux couleurs changeantes. Aux tons chauds du désert du sud, avec une lumière forte que Aya laisse passer en ouvrant les rideaux lorsqu’elle met son patron au défi de vivre leur relation au grand jour, s’oppose le séjour à Tunis. Amina plonge dans les nuits et les problèmes. La palette s’assombrit avec des couleurs froides et un vert sale qui signale comment les épreuves se referment sur la jeune femme.

Cette héroïne encerclée mais résistante, jouée par Fatma Sfar, est suivie de près par l’objectif d’Antoine Héberlé. L’opérateur français qui a déjà cadré les personnages de Un fils, utilise souvent une caméra portée pour relayer la fébrilité recherchée et mise en scène par Mehdi Barsaoui. On colle aux gestes de Aya à Tozeur, on la voit avec plus de distance à Tunis où elle respire avant que l’étau se resserre encore sur elle lorsque l’intrigue policière s’intensifie et que la colère des soutiens de la victime s’amplifie dans la rue.
Le réalisateur profite de l’expérience du chef opérateur français pour soigner ses images, privilégiant les plans plutôt longs mais aussi les ruptures de rythme pour tenter de saisir les spectateurs. Il surprend avec l’accident de bus, secondé par l’équipe italienne des effets spéciaux. Il intrigue avec des plongées dans les escaliers du commissariat, ou trouble en illustrant le cauchemar de Amina qui a bu et pris un cachet de trop. Ces effets de style parfois relayés par quelques ajouts numériques, défient la modestie des moyens de production qui ont toutefois permis au cinéaste d’étaler son tournage sur un bon mois.

Aicha atteste de la volonté de Mehdi Barsaoui de viser un large public. Il soigne le portrait d’une femme ordinaire qui affronte les coups du sort pour échapper à sa condition. Mais il dénonce aussi la corruption d’un système qui couvre les bavures policières au détriment des droits des victimes. En balayant la puissance de l’argent qui circule chez des gens intouchables, le réalisateur épingle une société patriarcale où l’indépendance des femmes est ciblée et la cellule familiale parfois oppressante. L’accumulation des obstacles et la densité du scénario qui joue sur des registres différents, tempère peut-être la portée de Aicha. Mais Mehdi Barsaoui tente de dévoiler avec les artifices du cinéma ce que sa société pourrait recouvrir et étouffer.

Les bandes-annonces des films de la semaine :